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Fragments - Kumi Yamashita

Le shadow art : de l’ombre à la lumière

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Utilisant des objets disparates, le shadow art joue avec l’ombre et la lumière, projetant les œuvres sur une surface plane. À travers la présentation de nombreux artistes et des tutoriels, découvrez cette discipline artistique peu connue !

Sommaire :

Le principe est simple : agencer un groupe d’objets hétéroclites pour en tirer une illustration ombragée. Des sculptures ? Pourquoi pas. Des morceaux de bois ? Parfait. Des… déchets ? Qu’importe, du moment qu’ils créent une ombre significative, une fois la lumière les traversant (ou non). Voici un travail en trois dimensions s’étalant adroitement sur un mur lisse, un drap ou un tableau.

Dirty White Trash – Tim Noble and Sue Webster
Dirty White Trash – Tim Noble and Sue Webster
City View – Kumi Yamashita
City View – Kumi Yamashita
Duetto – Fabrizio Corneli
Duetto – Fabrizio Corneli
I listen to myself – Fred Eerdekens
I listen to myself – Fred Eerdekens
A to Z © Kumi Yamashita
A to Z © Kumi Yamashita
Istituto Italiano di Cultura Madrid – Fabrizio Corneli
Istituto Italiano di Cultura Madrid – Fabrizio Corneli
Self imposed misery – Tim Noble & Sue Webster
Self imposed misery – Tim Noble & Sue Webster
Chair – Kumi Yamashita
Chair – Kumi Yamashita
Life itself is not enough – Fred Eerdekens
Life itself is not enough – Fred Eerdekens

Historique : ombres chinoises, théâtre d’ombres et shadow art

Tout le monde a sans doute essayé de projeter une ombre de lapin avec ses mains. Ou un canard. Ou un visage. Avec un succès relatif, certes, mais l’idée est là.

Ce concept ne date clairement pas d’hier. Utilisant des poupées, les artistes marionnettistes d’antan racontaient déjà leurs contes à la lumière d’un brasier, il y a plus de trois mille ans. Au fil des siècles, les « ombres chinoises » se propagent en Asie puis s’exportent progressivement au Moyen Orient avant d’atteindre l’Europe.

En France, il a fallu attendre le XVIIIe siècle pour que la discipline s’invite dans la Cour du Roi. Ici utilisée comme divertissement pour la haute société, cette forme artistique est restée proche des spectacles de marionnettes asiatiques. On l’appelle alors « théâtre d’ombres ».

Aujourd’hui bien plus statique et grand public, le shadow art s’immisce dans les musées ou les rues, porté par une poignée d’artistes autour du monde. Et, si les poupées de chiffons historiques ont été remplacées par des amas hétéroclites, tous héritent d’une culture millénaire de l’ombre. (Note : pour un aperçu plus large de la place de l’ombre dans l’histoire de l’art, je vous conseille cet article, très complet.)

Lumière sur le shadow art : exemples et réflexions

De l’ombre à la matière

Mettons en regard les créateurs précédents. Kumi Yamashita épure au maximum sa représentation, laissant des courbes souples se délier sur la surface, légères. Comme dans les œuvres de Fabrizio Corneli, les « supports d’ombre » (faute de terme attitré) sont stylisés à souhait. L’aspect des matières utilisées, unies (métal, bois ou du papier immaculé) et/ou peintes, fait écho à la légèreté de l’ombre, à sa fragilité.

Face à ces aires lisses et unies, Tim Noble et Sue Webster ou Fred Eerdekens laissent quant à eux s’écrouler des amas informes. De bois, de déchets, d’habits… Ces agrégats surprennent le regard tant dans leur capacité à produire des ombres précises et subtiles que dans leur double sens. En un jeu de dupes, chacun produit une version ombragée de la réalité. Ainsi, les ordures renvoient à la relativité du beau, de la matière et, puisque nous sommes sur internet, de l’image projetée au monde. Ou celle renvoyée de l’environnement, au choix.

Ce principe est aussi soulevé par Question Mark de Kumi Yamashita : une affirmation cache la question. L’artiste joue donc sur la représentation de l’objet et de ce qu’il y a – littéralement – derrière lui. La réalité de la chose est déformée par sa représentation murale. L’artiste le dit d’ailleurs sur son site : chaque œuvre est composée du matériel et de l’immatériel. Le métal ou le bois s’opposent alors à la lumière et à l’ombre.

Question Mark – Kumi Yamshita
Question Mark – Kumi Yamashita

Je souhaitais initialement faire un parallèle avec l’allégorie de la caverne. Finalement, ce sera un perpendiculaire : les ombres ne sont pas ce que l’on observe tous les jours avec nos yeux, sombres traces de concepts purs ignorés au fond d’une grotte. Plutôt, chaque contour projeté sur les surfaces lisses sont autant de nouvelles réalités que les artistes font naître et connaître.

Typographie ou calligraphie : shadow art métallique

À l’image de Kumi Yamashita, Fred Eerdekens travaille autant sur l’ombre que sur le sujet éclairé. Changement de matériaux : l’acier et le bois sont remplacés par le cuivre, que cet artiste belge manie à la perfection pour créer des phrases calligraphiées.

bonheur fantôme – Fred Eerdekens
bonheur fantôme – Fred Eerdekens
Filet de voix – Fred Eerdekens
Filet de voix – Fred Eerdekens
L’origine de la metaphore – Fred Eerdekens
L’origine de la metaphore – Fred Eerdekens

Délicates et aériennes, ces œuvres semblent fragiles sous la lumière. Les phrases (ici en français mais plus souvent en anglais), lévitent un instant avant de se poser sur le mur blanc. Ne bougez pas ; elles pourraient s’envoler.

Multiples dimensions, multiples ombres

D’autres créateurs ne s’arrêtent pas à la simple dimension d’un mur. C’est le cas de Triantafyllos Vaitsis, qui utilise deux sources lumineuses pour projeter deux images différentes, sur des tableaux.

Animaux – Triantafyllos Vaitsis
Animaux – Triantafyllos Vaitsis
The Beginning of the End – Triantafyllos Vaitsis
The Beginning of the End – Triantafyllos Vaitsis

Une nouvelle dimension s’ajoute donc aux précédentes : l’objet, sa première et sa seconde ombre. La dualité de la signification rend la matière instable : à l’instar du chat de Schrödinger, les deux états de l’ombre coexistent avant leur observation. Homme et animal, enfant et vieillard ; dès que lumière est faite, l’un ou l’autre apparaît.

Mais après tout, pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Un objet, et trois versions de son ombre ! La projection n’est alors pas simultanée mais alternée, les contours changeant selon l’angle de la lumière. Ainsi, John V. Muntean crée des sculptures en bois (et en lego !) projetant tour à tour des formes variées.

Riddle of the Sphinx – John V. Muntean
Riddle of the Sphinx – John V. Muntean
Lego – John V. Muntean
Lego – John V. Muntean

On atteint ici un certain niveau de complexité et il est difficile d’imaginer comment de tels systèmes ont pu être modélisés. Un défi de taille, donc, s’éloignant des arabesques épurées de Fred Eerdekens. Si je suis moins sensible à cette forme plus compacte, je ne peux que saluer la prouesse technique pour y arriver.

D’ailleurs, un jeu vidéo de puzzle en 3D se basant sur le shadow art existe ! (Merci à pour son commentaire.) Shadowmatic propose ainsi de résoudre différents casse-têtes en faisant pivoter ou déplaçant des blocs pour former une ombre significative. Vous pouvez regarder le trailer pour vous faire une meilleure idée. S’il vous intéresse, sachez qu’il est disponible gratuitement sur téléphone, foncez !

Des ombres en couleurs

Le shadow art ne se limite pas à des supports ternes : les artistes jouent parfois sur les couleurs. Par exemple, voici deux œuvres intéressantes dans leur utilisations des teintes :

Fragments – Kumi Yamashita
Fragments – Kumi Yamashita
Maptioy – Triantafyllos Vaitsis
Maptioy – Triantafyllos Vaitsis

Kumi Yamashita explore toujours autant l’aspect design de la discipline, proposant une multiplication colorée et warholienne d’un visage de papier. Davantage candide, Triantafyllos Vaitsis a le mérite d’offrir une œuvre en extérieur ! Les cadrans solaires seront-ils bientôt remplacés par du (shadow) street art ? Affaire à suivre…

Une dernière variante à citer avant de passer à la suite est celle des ombres colorées. Difficile à concevoir ? Pourtant, une version bigarrée du shadow art existe bel et bien. Les surfaces solides atteintes par la lumière sont alors transparentes et teintées, laissant filtrer des rayons bariolés.

Fly to Baku © Rashad Alakbarov
Fly to Baku © Rashad Alakbarov

Malheureusement, l’artiste se fait discret et c’est la seule création de ce type sur laquelle j’ai pu mettre la souris… Si vous en connaissez d’autres, n’hésitez pas à les partager dans les commentaires.

Enfin, il convient de citer le travail d’Olafur Eliasson, mettant les spectateurs au centre du shadow art. Ainsi, plus question de métal ou papier : ce sont les visiteurs de l’installation qui projettent leurs ombres en couleurs (au pluriel) sur le mur en face d’eux ! Une version vidéo est disponible ici, si vous le souhaitez.

Your uncertain shadow – Olafur Eliasson
Your uncertain shadow – Olafur Eliasson
Your uncertain shadow – Olafur Eliasson
Your uncertain shadow – Olafur Eliasson

On note ici que les ombres n’ont clairement plus la même signification de double-sens qu’on a pu déceler dans le shadow art traité au début de l’article. L’ombre est (en partie) colorée et son sens est bien plus unique. Cela dit, comme pour toute oeuvre collaborative, la liberté du spectateur fait la beauté de la représentation ; l’artiste n’est pas le seul à jouer avec la lumière.

Comment faire du shadow art ?

À ce stade, vous devez sûrement trépigner d’impatience pour créer vos propres œuvres de shadow art. Comme pour tout, il faut s’armer de patience et bien se renseigner. Avant de présenter la version facile, je vous invite à observer la méthode des créateurs déjà établis…

Tutoriel de professionnel

Chaque artiste possède certainement une approche unique, mais tous doivent probablement passer par une phase de croquis. Ainsi, après avoir déterminé le contour de ses sujets sur papier pour en déterminer le volume, l’artiste commence à ériger son œuvre.

Vidéo

Cette vidéo est particulièrement intéressante, car Triantafyllos Vaitsis utilise un procédé différent pour chacun de ses personnages. Par exemple, Roméo est construit avec des blocs pleins. Son torse et sa tête naissent d’un amas hétéroclite de déchets, saupoudré d’aluminium. Au contraire, Juliette prend d’abord la forme de son contour en fils de fer, peu à peu rempli par des morceaux de métal ou de silicone.

Par ailleurs, si vous êtes réellement motivés, sachez que des chercheurs de l’université de Stanford ont publié un papier en 2009 sur le shadow art. Dans celui-ci, ils s’intéressent à la génération de formes projetant 3 ombres différentes selon la source lumineuse. Un logiciel a ainsi été développé, permettant d’imprimer le support en 3D ou d’assembler des Legos, comme le fait John V. Muntean. Vous pouvez observer la démo ici ; malheureusement, le logiciel associé ne semble pas être public.

Jouer avec ses propres ombres

Bien qu’ourlé de mystères, le shadow art est finalement assez facile à reproduire. En guise de tutoriel, je vous propose deux techniques simples à réutiliser chez vous si vous le souhaitez.

Avec du papier

La première méthode requiert un logiciel de retouche photo (Gimp, Photoshop, etc.), du papier et des ciseaux.

  1. Choisissez une photographie ou une illustration ;
  2. Ouvrez-la avec votre logiciel de retouche favori ;
  3. Convertissez-la en noir et blanc (« niveau de gris », généralement) ;
  4. Augmentez le contraste et jouez avec la luminosité pour obtenir une silhouette ;
  5. Réduisez la hauteur de l’image sans respecter les proportions.

Voici ce que cela peut donner en image :

Tutoriel Shadow Art – Papier Découpé
Tutoriel Shadow Art – Papier Découpé

Une fois votre image imprimée, découpez-la en gardant un peu de marge en bas. Cela vous permet de créer une languette de papier pouvant être ensuite collée. Il ne vous reste plus qu’à jouer avec l’angle d’éclairage pour projeter l’ombre souhaitée ! Notez que j’ai découvert cette technique via la vidéo de CraftLogix.

Avec du fil de fer

Si les artistes présentés auparavant ont tendance à jouer sur les volumes avec des objets imposants ou des pièces métalliques modelées pour l’occasion, une simple bobine de câble peut suffire pour se lancer ! Ici, il est recommandé de travailler avec une lumière permanente, afin de pouvoir moduler la forme à votre guise. Une lampe de chevet, le flash de votre téléphone portable, une lampe torche… Calez la source lumineuse et commencez à tordre !

Pour le métal, préférez la souplesse. Fred Eerdekens travaille ainsi avec du cuivre, mais des bobines de fil de fer sont aussi facilement disponibles dans votre magasin de bricolage favori ou sur internet. Veillez à ne pas vous blesser avec le bout du fil et à utiliser une pince plate pour tordre le câble si nécessaire.

Une fois le matériel assemblé, il ne reste plus qu’à dessiner (ou imprimer) la forme que vous souhaitez représenter sur une feuille de papier. En projetant la lumière sur celle-ci, vous pourrez guider vos essais en temps réel. Si vous considérez cette méthode comme une tricherie honteuse, vous pouvez toujours procéder à main levée. Amusez-vous bien !

Pour aller plus loin

Bien que les deux techniques présentées auparavant occupent à temps plein de nombreux artistes chevronnés, vous pouvez avoir envie de vous tourner vers des versions plus avancées ou simplement toucher à d’autres matériaux. Il existe quelques tutoriels intéressants, notamment sur la manipulation de bois. Pour cela, pas question de proposer l’activité à des enfants dans un cour d’art plastique. Encore que, manipuler des fils de fer dépasse probablement déjà les limites de sécurité envisageables. Bref, sachez que cela existe et le résultat peut s’avérer tout à fait convenable, notamment pour la typographie !


Voici qui clôture la présentation du shadow art en long, en large et en travers, mais sans exhaustivité. N’hésitez pas à aller faire un tour sur les sites des artistes cités pour découvrir d’autres œuvres.

Si cela vous a plu, je vous invite à partager cet article et à donner votre avis dans les commentaires. J’attends aussi de voir le résultat de vos expériences, si vous essayer à l’art des ombres vous tente !


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