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Double exposed photograph of my son on the beach in Coronado San Diego Southern California, Sténopé Chris Keeney

Le sténopé, pour ressourcer la photographie

Par Dark Vador


Un petit voyage dans le temps, ça vous tente ? C’est ce que propose le sténopé, antique système pour prendre des photographies avant que les smartphones deviennent le nec plus ultra et transforment la beauté des couchers de soleil sur la mer en passage obligé de vos vacances (même si vous êtes à la montagne…).

Le sténopé, un dispositif photo simple et ancestral

Le sténopé est l’ancêtre de la photographie et son invention se perd dans la nuit des temps depuis que l’être humain regarde la lumière. Le principe est très simple : la lumière passe par un petit trou et projette sur un support une image à l’envers comme l’illustre le schéma suivant.

Schéma de principe du sténopé
Schéma de principe du sténopé © Joël Lintz

Le « sténopé » (de sténos/étroit et ope/trou) ou « pinhole » (trou d’épingle) désigne à la fois le petit trou qui sert à faire entrer la lumière dans la chambre noire ET le dispositif en lui-même. Il ressemble par exemple à ça :

Boite à sténopé © Frédéric Ollivier
Boite à sténopé © Frédéric Ollivier

Le genre de photos obtenues est souvent en noir et blanc (mais pas forcément) et nécessite une pause longue. Sur un smartphone la photo est prise en quelques centièmes de secondes. Sur un sténopé, la durée d’exposition varie de quelques dizaines de secondes à plusieurs mois pour les plus longues. Le résultat est alors assez différent des instantanés numériques aux tons maîtrisés, aux contours nets et précis. Un sténopé peut donner par exemple ceci :

Sténopé Soleil © Wikimedia
Sténopé Soleil © Wikimedia

On est loin de la définition des derniers iPhone… mais l’émotion est aussi différente et les émotions ne se mesurent pas en megapixels a priori.

Les variations techniques sont illimitées. Le trou est une première source de variété :  sa taille peut changer selon la dimension de la boite notamment ; il peut y avoir plusieurs trous à la fois ; la forme du trou peut varier, etc. La chambre noire dans laquelle passe la lumière prend aussi des formes étonnantes : elle peut être une boite de conserve ou en bois, une caravane, une chambre, un hangar d’avion, un coquillage, une main, un appareil numérique ou même une bouche ! Enfin, le support sur lequel est projetée l’image est une source de variations sans fin : classiquement, le support est du papier ou de la pellicule photo posé à plat ; mais ce support peut être le mur d’une chambre, il peut être incurvé pour déformer l’image (anamorphose), il peut être trempé dans du liquide, etc.

Bref, les possibilités avec le sténopé sont infinies et ces contraintes ont stimulé les artistes en particulier depuis les années 1970.

Le sténopé, une source de créativité infinie

Volkmar Herre a créé des sténopés très léchés comme celui-ci :

Sténopé © Herre
Sténopé série « Painted with light » 1997 © Volkmar Herre

Ces visions de rivages nous plongent avec une certaine mélancolie dans une nature intemporelle qui rappelle les photos du XIXème s.  Elles dessinent aussi un horizon où les cieux et l’eau rendue étale par la pause longue du sténopé se réunissent pour former des bandes complémentaires. La nature devient une peinture dans laquelle les formes et leurs couleurs sont plus importantes que leur fonction.

Chris Keeney utilise la possibilité de multiplier les expositions sur un même film avec cette photographie étonnante :

Double exposed photograph of my son on the beach in Coronado San Diego Southern California, Sténopé Chris Keeney
Double exposed photograph of my son on the beach in Coronado San Diego Southern California © Chris Keeney

La photographie devient film et dans une version proche des cinémagraphes, mêle fixité et mouvement, immobilité et changement, temps et mémoire. Car cette vision est peut-être émotionnellement plus réaliste. L’enfant qui est debout reste en mémoire immédiate et vient ensuite voir l’appareil dans une même temporalité. Le sténopé juxtapose ces deux périodes avec une perspective aussi étonnante qui renforce la sensation de mouvement.

Eric Renner, grand défenseur et bricoleur de ce dispositif, a lui aussi tenté les sténopés avec plusieurs trous et propose ici le résultat d’un selfie avec 19 trous, un record :

Sténopé, Portrait 19 pinhole camera 1971 © Eric Renner
Portrait 19 pinhole camera 1971 © Eric Renner

La réalité est alors fragmentée en autant de perspectives que de trous dans le sténopé. Il existerait une seule réalité avec une seule image ? Eric Renner répond négativement en rappelant combien nos perceptions modifient ce que nous voyons. La normalisation des selfies à travers le monde d’Instagram n’y change rien. Même si les images de pizzas se ressemblent souvent dans les réseaux sociaux qu’elles viennent de France, d’Italie, du Japon, etc., les sténopés à trous multiples mettent en avant cette évidence : il n’y a pas une seule réalité mais des réalités que nous partageons plus ou moins.

Toujours lié à une certaine vision de la réalité, un projet original où le sténopé voyage d’un photographe à l’autre entre USA, Canada, Japon, Chine et France. Chacun prend une photo en la juxtaposant à celle des autres pour former une frise chronologique qui rejoint plusieurs continents en une seule photographie :

Sténopé, The Flying Pinhole Camera © Guy Glorieux
The Flying Pinhole Camera © Guy Glorieux

Ce sténopé volant (le nom de ce projet est le « Flying Pinhole Camera ») fait aussi réfléchir à la notion de réalité, de temporalité et mélange ces différentes dimensions dans un flot coloré. Autant, la photo précédente d’Eric Renner fragmentait la réalité, autant celle-ci réunit en un seul mouvement les différentes vues avec des couleurs contrastées, vivantes, entraînantes qui transforment la photographie, support stable et figé, en mouvement comme une pellicule de film. Le monde se fond alors dans une ronde joyeuse et colorée. Ce projet a inspiré une exposition récente à Nantes sur le même thème.

Le sténopé, une façon de s’amuser

Pour finir de façon plus légère ou étrange, les selfies au sténopé d’Ignas Kutavicius retiennent le regard :

Portrait © Ignas Kutavicius
Portrait © Ignas Kutavicius

Ces photos bizarres nous montrent aussi pourquoi les selfies sont apparus avec une technologie. Réalisés avec un ancien dispositif, ils deviennent un peu ridicules. Les selfies sont-ils apparus à la fin du XXème s. parce que l’humain a voulu se mettre en scène ou simplement parce qu’une technologie, les appareils photos numériques,  l’a permis alors que le besoin de visibilité a toujours existé ?

Bref, le sténopé libère une créativité infinie que cet article rapide aborde succinctement. J’espère qu’il vous donnera envie d’explorer cet univers parallèle de la photographie numérique (trop ?) maîtrisée. Vous pourrez alors fêter comme il se doit la journée mondiale du sténopé le 29 avril 2018 (http://pinholeday.org/).

D’autres articles plus centrés sur des artistes précis poursuivront ce dossier forcément incomplet. En les attendant, n’hésitez pas à partager votre expérience des sténopés dans les commentaires ci-dessous et/ou à partager l’article autour de vous !


Avant de se quitter, quelques liens pour explorer cet univers parallèle…


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