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Terrain de basket East Harlem, Panneau 3, Street Art de commande

S’égarer dans les Street Art d’East Harlem

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N’écoutant que le chant des sirènes de l’art, j’ai bravé pour toi, ô lecteur assidu, touriste patenté, amateur de sensations fortes, les rues mal famées d’East Harlem (en fait le taux de criminalité d’East Harlem a beaucoup baissé comme partout à New York mais c’est mieux pour le référencement et le suspens de bas de page de parler de violence, de crime, de danger… Si je vous dis, « j’ai fait une petite balade sympa dans les rues d’Harlem », c’est moins intéressant, hein ? Ce n’est pas Disney Land non plus, bien que je me demande si la souris aux grandes oreilles n’est pas plus dangereuse à long terme pour nos cerveaux. Bref, je m’égare… mais l’égarement est justement un des sujets de ce billet).

De nombreux liens sur l’internet proposent des circuits Street Art dans New York . Lartboratoire avait déjà traité ce  thème du Street Art à plusieurs reprises et je voulais voir de mes yeux ce que ça donnait in real life.
Pas déçu du tout, au contraire, mais étonné, très étonné.
N’attendez pas de ce billet un énième circuit sur le Street Art à Harlem. Voici plutôt la petite histoire d’une très heureuse surprise.

L’oeuvre de Street Art dans son jus

Avant de voir des tags et autres peintures murales, vous déambulez dans un quartier qui a son histoire, sa culture, ses habitudes, ses habitants, etc. et son apparence avec un petit extrait ci-dessous qui ne prétend pas montrer toute l’étendue du quartier mais simplement souligner un contraste :

East Harlem, décembre 2019
East Harlem, décembre 2018

Et au détour d’une rue, vous tombez sur ça :

Terrain de basket East Harlem, Panneau 1, Street Art de commande
Terrain de basket East Harlem, Panneau 1, Street Art de commande

Les photos des œuvres sur Instagram ou ailleurs se focalisent sur la peinture et oublient parfois le reste. Il faut être direct, rapide, clair et… coloré pour obtenir un maximum de likes.
Dans la vraie vie, les œuvres éclatent au détour d’une rue, d’un immeuble dans l’œil et le cerveau . La marche dans le quartier prépare cette réception et la sensation de découverte est ainsi très différente de l’affichage sur son smartphone ou dans un musée.

L’oeuvre dans son jus est une première surprise mais pas si grande finalement car les voyages en train et en métro nous ont habitués à ces apparitions colorées au détour d’une sombre entrée de ville ou de station. L’autre surprise est plus étonnante.

La famille éclatée du Street Art

Il y a clairement plusieurs Street Art dans ce quartier qui l’a intégré depuis des dizaines d’années. Un peu comme un archéologue peut repérer des stratigraphies d’époques différentes, les formes de Street Art se succèdent dans un mélange parfois difficile à repérer. Deux formes ont particulièrement retenu mon attention : le Street Art de commande, celui des écoles, des commerces, des musées, des théâtres, etc. et le Street Art brut, celui des origines, illégal, libre.

Le Street Art « de commande »

Ce premier Street Art est le plus impressionnant, le plus grandiose, le plus présent dans ce quartier qui a une longue histoire pour cette forme d’art. Dans ce cas, une organisation (école, commerce, etc.) demande à des graffeur.ses de peindre leur mur. On peut imaginer facilement que la commande est restrictive et que le message est cadré. La liberté se situe plutôt dans la possibilité de peindre d’énormes fresques sur des pans entiers d’immeubles pendant des journées entières, ce qu’un.e graffeur.se illégal.e fera plus difficilement dans des lieux publics, visibles. Quelques exemples en guise de mise en bouche.

Les écoles

Les écoles à East Harlem et Harlem en général, offrent de nombreux exemples  de Street Art de commande comme celui-ci au message limpide :

Ecole East Harlem, Street Art de commande
Ecole East Harlem, Street Art de commande

Les terrains de basket

Une autre fresque est plus récente, datant de 2017 sur un terrain de basket ce qui est aussi un grand classique de l’aménagement de l’espace public dans cette partie de la ville :

Terrain de basket East Harlem, Street Art de commande
Terrain de basket East Harlem, Street Art de commande

Et pour le plaisir des yeux, quelques détails de ce panneau dont vous avez déjà vu la première partie avant :

Terrain de basket East Harlem, Panneau 2, Street Art de commande
Terrain de basket East Harlem, Panneau 2, Street Art de commande
Terrain de basket East Harlem, Panneau 3, Street Art de commande
Terrain de basket East Harlem, Panneau 3, Street Art de commande

Dans ce cas, ces panneaux souhaitent montrer l’énergie du quartier et rendent hommage à César Fantauzzi, basketteur originaire d’East Harlem.  Ce projet a été soutenu par plusieurs institutions new-yorkaises dont le parc Marcus Garvey. Les artistes sont ici Ralph Serrano, Jeremy Vega, Giannina Gutierrez.

Les festivals

Les festivals laissent aussi leurs traces sur les murs des immeubles de ce quartier dont la peinture suivante d’Alex Void.

Home, Alex Void, East Harlem
Home, Alex Void, East Harlem
Home (zoom), Alex Void, East Harlem
Home (zoom), Alex Void, East Harlem

Cette oeuvre est issue du festival « Los Muros Hablan » qui a impliqué plusieurs artistes en 2013 dont l’oeuvre présentée ici.

J’aurais pu ajouter des façades de magasins, de théâtres, etc. Ce Street Art de commande répond donc à une demande et s’oppose, parfois de façon virulente, au Street Art des origines, libre, spontané, plus caché et discret.

Le Street Art « brut »

Ce Street Art que j’appellerais « brut » (en référence à l’art brut et pas à la force physique des graffeur.ses !) hérite des années 1970 qui ont fait date dans l’histoire de ce mouvement artistique à New York, notamment. Le principe est celui donné dans la définition du Street Art de C. Gerini : « ce qui s’exprime dans la rue (au sens large), en dehors des schémas légaux de l’ordre des commandes publiques ou privées » (Gerini, 2015, p. 106). Le Street Art est associé fortement à la liberté et s’oppose au Street Art de commande qui est considéré comme récupéré par le système. C215 accuse JR, notre star nationale du Street Art de récupération facile : « les messages prétendument politiques se limitent désormais à un tissu d’évidences plates et consensuelles, sinon démagogiques, comme dans ‘Women Are Heroes’ » (C215, 2013). Bref, deux mondes, deux logiques. Par exemple, aux fresques gigantesques du Street Art de commande, JR répond simplement : « j’ai vieilli et désormais je peins bien souvent des petits chats » (C215, 2013).

A East Harlem, par exemple, cette forme de Street Art se découvre par cette oeuvre émouvante de De La Vega sur la mort de son ami Tony Lopez :

Devalega, Tony Lopez, East Harlem, 2011
De La Vega, Tony Lopez, East Harlem, 2011

Il peut s’agir aussi de protestation joyeuse sur les portes d’un immeuble en voie de gentrification :

Travaux East Harlem, Street Art brut
Travaux East Harlem, Street Art brut

L’oeuvre est anonyme, colorée, non commandée, spontanée, engagée et politique.

Une variante de cette forme de Street Art est celle des ailes dont de nombreuses photographies apparaissent sur l’internet :

Ailes, Colette Miller, East Harlem, Street Art brut
Ailes, Colette Miller, East Harlem, Street Art brut

Cette fois, l’artiste est extérieure a priori  à la communauté du quartier et suit un projet international sur ce thème ; pourtant, la logique n’est pas une commande mais un projet artistique.
Vous avez compris le principe : plusieurs Street Art, des œuvres de sens et de nature différents, des émotions variées. Mais faut-il créer pour autant des frontières ?

Ranger le Street art ?

La surprise a donc été de constater l’importance du contexte sur la réception de l’oeuvre, ce qui est logique, mais m’a marqué dans ce cas, et de voir aussi toute la variété du Street Art pour un débutant en la matière. Si on résume, on a donc les catégories suivantes :

  • selon la technique : graffiti, pochoir, bombe, etc.
  • selon le contexte social : le in situ vs musée/livre/Instagram, etc. ; dans le in situ, la commande vs le libre.

C’est bon, c’est rangé ! Comme pour la peinture : impressionnisme, pointillisme, néoréalisme, abstraction, etc. Les galeries et les musées peuvent étiqueter, les critiques critiquer, les amateurs faire les malins et les artistes transgresser les frontières… tout va bien 🙂

Sauf que…

C’est pas si simple de faire entrer le Street Art dans des cases

D’une part c’est plus compliqué que ça. Certains artistes ne respectent pas les lignes et font rien qu’à pas respecter les classements. Pour le cas qui nous intéresse à East Harlem, De La Vega a commis une oeuvre qui semble de commande (?) ou du moins avec autorisation, bouh le vilain (et il le fait bien en plus !) :

De La Vega, Guernica, 1996, East Harlem
De La Vega, Guernica, 1996, East Harlem
De La Vega, Guernica, détail, 1996, East Harlem
De La Vega, Guernica, 1996,détail, East Harlem

D’autre part, certains ont une définition plus large du Street Art qui inclut toutes les formes in situ qu’elles soient ou non de commande : « le Street art est un art strictement visuel développé dans les espaces publics (ou en d’autres mots, ‘dans les rues’) » (Réseau Arts3).  Mais à ce moment là, on écarte les musées qui exposent du Street Art et les lieux spécifiques comme Mister Freeze à Toulouse, Darwin à Bordeaux ou bien-sûr le célèbre Dédale à Vannes. Dans le même sens, que faire des productions créées pendant les festivals comme Grenoble, Montréal… C’est du in situ ou pas ? A partir de quand c’est in situ ? Au fait, c’est quoi une rue ?

Et si on arrêtait de tout classer ?

Et si tout ça n’était pas très important pour le public du Street Art qui peut faire sa propre trajectoire ? Qui peut juger qu’il est préférable de ne faire que des visites dans les « vraies » rues ? Pourquoi pas commencer par être sensibilisé dans un musée ? Et si la liberté initiale du Street Art rendait incohérente toute classification ?

Quelles que soient les réponses, l’émotion face à ces œuvres est là. Mieux les comprendre facilite aussi leur appréciation dans une certaine mesure. Analyser la différence entre « commande » et « brut » me permet par exemple de rechercher différemment, de ne pas comparer des mondes aux motivations différentes, etc. Cependant, l’essentiel n’est-il pas dans le bonheur de voir l’art s’inviter dans des réalités sociales pas toujours évidentes ?

Bref, baladez vous où vous voulez, laissez-vous surprendre sans trop suivre les circuits et enjoy 🙂

 

Quelques liens complémentaires

Un livre sur le thème en plus de l’article très intéressant de C. Gerini :

  • Christophe Genin, Le street art au tournant, Reconnaissances d’un genre, 2013.

Quelques exemples de circuits de départ pour apprendre à se perdre mais il en existe beaucoup d’autres :


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