Tina Modotti: une artiste en son temps
Photographe incontournable de la première moitié du XXe siècle et ayant pleinement exploité le médium photographique Tina Modotti s’illustre par ses oeuvres engagées et graphiquement travaillées. Cet article vous propose de découvrir son parcours autour du monde et à travers le temps en présentant cinq de ses créations.
Tina Modotti, née à Udine en Italie en 1896, est une photographe importante du XXe siècle. Elle composera son Oeuvre lors de voyages dans plusieurs pays tels que la Russie, l’Espagne ou même les Etats-unis. Malgré tout, l’essentiel de sa photographie est produit au Mexique. Ces nombreux voyages sont l’occasion de rencontrer de nombreux artistes dont Edward Weston et Diego Rivera. Les débuts de la photographe sont dans un premier temps orientés par Edward Weston, alors pionnier du pictorialisme. Ce mouvement a pour objectif l’imitation de la peinture, avec notamment la retouche à la main pour créer le flou et accentuer certains éléments, ou l’utilisation des effets de clair-obscur. Il est par ailleurs pertinent de souligner que cette période marque aussi la naissance de la Nouvelle Vision dont Weston est l’un des protagonistes incontournables. La Nouvelle Vision cherche à se détacher de la photographie traditionnelle en explorant tous les aspects et possibilités qu’offre le Leica et le Rolleiflex. Les angles de prises changent, ainsi les points de vue très traditionnels que sont le frontal et l’horizontal sont abandonnés au profit de la plongée, contre-plongée ou vision latérale.
Tina Modotti se détourne néanmoins de cette influence pour se consacrer plus en profondeur à la Straight Photographie, un mouvement qui cherche à traduire à travers l’appareil photo les scènes de la façon la plus objective et réaliste possible. Se différenciant alors du pictorialisme, le mouvement délaisse toute retouche ou intervention manuelle. Ainsi, Ouvrier, une photographie prise en 1920 au Mexique, illustre un travailleur portant une poutre sur l’épaule. Dans cette continuité, Machine à écrire prise en 1928 présente une machine prise en plongée mettant en avant les différentes pièces qui la constituent. Prise en 1925, Fils du télégraphe met en scène par contre-plongée un poteau soutenant des fils électriques. D’autre part, Verres, prise la même année et toujours au Mexique, illustre des verres semblant se confondre les uns avec les autres. Cet effet voulu par la photographe est le résultat d’une superposition de deux images. Enfin, le portrait d’Edward Weston pris en 1924 aborde le célèbre photographe par une contre-plongée, point de vue original et inhabituel pour l’époque.
Ces œuvres nous conduisent donc vers une pertinente interrogation : en quoi Tina Modotti est-elle une artiste en son temps ? Pour répondre de manière complète à ce questionnement, il s’agira d’appréhender cette dernière sous deux axes différents. En effet, il semble d’une part pertinent de comprendre la position qu’adopte l’artiste face au monde qui ne cesse de se moderniser. D’autre part, s’inscrire en son temps pour la jeune photographe semble passer par un engagement certain dont elle fait preuve tout au long de sa vie.
L’attention particulière de la photographe à la modernité et au constructivisme s’explique par l’influence du contexte économique d’entre-deux-guerres de l’époque, Fils de télégraphe, 1925, reflétant par exemple cet intérêt. L’image exclue toute forme humaine ayant ainsi pour sujet unique le poteau électrique. L’œuvre témoigne de la préoccupation formelle sur le motif d’éléments contemporains du paysage. La contre-plongée crée un jeu de rythme dans la répétition du motif qui conduit le regard hors du champs de vision de la caméra, rappelant ainsi les caractéristiques du mouvement stridentiste. Le graphisme de l’image est quant à lui au service de la modernisation du pays qui s’accélère avec les nouvelles technologies. L’inscription de l’Oeuvre de Tina Modotti en son temps se réalise grâce au témoignage qu’elle constitue.
Malgré tout, une certaine volonté de l’artiste de s’inscrire dans les mouvements artistiques de l’époque semble se dessiner. En effet, le portrait de Weston réalisé par cette dernière en 1924 répond parfaitement aux caractéristiques de la Straight Photographie. Sur l’image, on voit Weston en gros plan, le regard dirigé droit devrait lui et accompagné de son Graflex constituant ainsi une mise en abyme. Sur ce portrait, l’homme mais surtout l’artiste prend une place importante. La Straight Photographie se revendique alors comme un mouvement à part entière s’opposant ainsi au Pictorialisme.
Dans cet élan de modernité et d’affirmation, la jeune artiste use de nouvelles techniques photographiques. Les fleurs qui prenaient toutes la surface au début de sa carrière dans Roses sont remplacées par des verres. Tina Modotti superposera deux images afin de créer cet effet d’optique. Par ailleurs, le nombre de verres et leur position rappelle l’industrialisation qui se développe, solidifiant ainsi l’économie des pays manufacturiers. Toutefois, malgré une industrialisation croissante, la condition de vie du prolétariat ne semble pas s’améliorer. Particulièrement affectée par la situation, Tina Modotti ne cessera de s’engager tant sur le plan politique qu’humain.
Ouvertement engagée, le communisme sert à son art comme son art sert le communisme. À la fin des années 1920, l’artiste photographie de plus en plus des scènes qui l’inscrit dans une démarche militante. Travaillant alors au sein du journal communiste « El Machete » avec son ami Mella, elle prend la photo Machine à écrire en 1928. Un article déjà entamé par Mella est visible en haut à gauche de l’image représentant ainsi la modernité mais surtout célébrant cette machine, outil permettant de véhiculer les idées du communisme.
D’autre part, la forme humaine qui avait alors été exclue dans Fils de télégraphe est de retour dans Ouvrier en 1920. L’homme prend une place particulièrement importante et le contre plongée l’agrandit, mettant ainsi l’ouvrier travaillant en valeur. Il semble porter une poutre sans difficulté ; cette forme d’aisance permet la glorification du statut du prolétariat. Toutefois, cette glorification n’est pas la seule forme utilisée par l’artiste pour traduire son engagement.
En effet, Misère met en scène une personne allongée par terre, accablée et dépourvue de ses biens, inspirant la pitié. Ce cliché témoigne à la fois des difficultés économique du Mexique mais aussi de l’engagement de la photographe, femme communiste activement militante. L’image illustre ainsi la sensibilité de Tina Modotti vis-à-vis du prolétariat et des conditions de vie qu’il subit.
S’inscrivant alors dans plusieurs mouvements artistiques tels que la Straight Photographie ou le Stridentisme et représentant la modernité sous toutes ses formes, la photographe témoigne grâce à son Oeuvre de l’aspect artistique de la photographie du début du XXe siècle. D’autre part, son engagement politique qui traduit sa sensibilité est l’occasion pour cette dernière tant de glorifier le prolétariat que de représenter et ainsi dénoncer sa misère. L’ouvrier et le paysan deviennent alors des figures incontournables de son Oeuvre. Par cette double vision et exploitation de la photographie, Tina Modotti s’empreigne de son temps et son époque pour en devenir un témoignage.
Pour compléter mais aussi explorer plus en profondeur et en découvrir davantage sur cette artiste plusieurs travaux sont disponibles :
- Margaret Hooks, Tina Modotti, amour, gloire et révolution, les éditions du Rocher, 1995.
- Dario Cimorelli, Ricardo Constantini, Tina Modotti, Silvana Éditoriale, 2014
- Ana Cecilia Hornedo Marin, Tina Modotti, 2019
- Gaëlle Morel, Photojournalisme et art contemporain, Les derniers tableaux, Éditions des archives contemporaines, 2008
- Lucas Mendes Menezes, Extrait du Dictionnaire universel des créatrices
- Stéphanie Duncan, Tina Modotti, femme libre et photographe engagée, 2020
- Matthieu Garrigou-Lagrange, Épisode 1 : Tina Modotti, photographe et militante, 2021