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Large vitres brisées d'un batiment abandonné - Urbex

Urbex, vers un nouveau mythe urbain

Par Dark Vador


L’expression Urbex serait apparue dans les années 1990 grâce à un canadien, Jeff Chapman dit “Ninjalicious” né en 1973 et mort en 2005 d’une maladie qui serait due à sa passion . L’EXploration URBaine consiste à découvrir des lieux abandonnés récemment (usines, hôpitaux, hôtels…) en gardant puis diffusant par vidéo ou photo son aventure comme dans cette oeuvre de de Sylvain Margaine.

Forbidden places – Sylvain Margaine
Forbidden places Sylvain Margaine

L’Urbex peut exprimer de multiples messages : “je suis le premier”, “je suis le plus fou”, “je montre le passage du temps”, “je rappelle la place de l’être humain”, “je joue avec les règles”, etc. et un mix de tout ça. Il y a différentes catégories de personnes concernées par ce phénomène : les explorateurs qui réalisent des vidéos dramatiques ressemblant à des films d’horreur (tendance Blair Witch), les touristes qui essaient une fois (et le rajouteront à leur CV touristique), les spectateurs restant au chaud et observateurs prudents des explorateurs, les artistes qui veulent faire passer un message, l’exploration étant alors un moyen, pas une fin.

Dans ce billet, j’évoquerai une partie de la mouvance artistique et les émotions des spectateurs de ces oeuvres. Les oeuvres Urbex sont liées au passé par la photo et aussi par ces émotions qu’elles font naître quand on les admire. Pourtant, art, passé et photo sont de vieux amis et il n’est pas évident que l’Urbex ait apporté grand chose à ce triptyque ? Voyons ça de plus près.

La photo comme trace du passé au présent

Roland Barthes, dans son livre “La Chambre Claire” , voyait dans les photos de sa mère notamment, une trace du passé, le “ça-a-été” (mais ça n’est plus, quoique si je le vois c’est encore mais bon… c’est plus pareil donc c’est le passé… mais au présent !). Pas besoin cependant de lire ou d’être Roland Barthes pour sentir que la photo a, par essence, un lien avec le passé. D’ailleurs, les premières photos concernaient des ruines archéologiques comme dans cette prise de vue anonyme du XIXème s.

Vue pyramide Sphinx XIX ème s.
Vue pyramide Sphinx XIX ème s.

C’était une sacrée exploration que de se retrouver, seul, sur la tête de ce vénérable Sphinx, à cette époque où il n’était pas inondé par des flots incessants de touristes.

Et pourtant, l’émotion face à cette photo est bien différente de celle éprouvée en regardant un photo de type Urbex : même construction en ruine, même support (une photo), même démarche de recherche des traces du passé mais une sensation différente. Le passé semble mis à distance dans la photo du XIXème s. Il est idéalisé, sans couleurs, sans textures ou presque, prêt à recevoir notre imaginaire d’un passé lointain et idéalisable. Avec l’Urbex, le passé est proche. Il est coloré, connu, reconnu et reconnaissable et renvoie plus à de la mélancolie, trace d’un passé observable dans un présent palpable.

Si la photo a toujours eu un lien naturel au passé, l’Urbex offre une vision différente, une sensation spéciale, un questionnement sans doute plus proche de nos cultures actuelles. Les explorateurs veulent souvent garder une trace de leurs découvertes et l’Urbex n’échappe pas à la règle. La photo est un moyen de cette trace (Interview de Jonk) et ensuite un objectif, sans mauvais jeu de mot (Interview de Sylvain Margaine). Pour autant, passé et Urbex forment un cocktail étonnant et nouveau.

Urbex, une autre représentation du passé : le passé pas vraiment passé

La sensation parait au centre de l’expérience comme le déclare Tekprod : “_j’ai voulu immortaliser ce moment en le photographiant, car j’aimais l’ambiance qui se dégageai_t” (Interview Tekprod).

Cette ambiance, ce résultat d’une exploration parfois dangereuse est un savant mélange de passé et de présent. Mais un mélange difficile et visible, un peu comme quand on veut mélanger de l’eau et de l’huile. Le passé est évident mais le présent n’est pas loin. Cette relation se retrouve d’ailleurs dans certaines approches.

Le mélange végétation-ruine est représentatif de ce rappel du présent au passé, fréquent dans en Urbex comme dans cette photo de Laura Del C.

Couvent végétal – Laura Del C.
Couvent végétal – Laura Del C.

Les oeuvres de Niki Feijen sont aussi marquantes et rappellent les dessins romantiques des ruines antiques du XVIIIème s. envahies par la végétation…

Une autre façon de souligner ce mélange entre passé et présent est de se centrer sur un objet précis qui symbolise ce passage du temps. La poupée ou plus généralement le mignon jouet d’enfant est un classique, touchant et effrayant. La superbe série de Romain Thiery s’inscrit dans cette mouvance et son “R_equiem pour pianos_” touche la corde sensible du passé qui se mêle au présent.

Requiem pour pianos – Romain Thiery
Requiem pour pianos – Romain Thiery

Enfin, placer un sujet bien vivant dans cet environnement en train de passer démontre le sursaut de vie, une forme de victoire symbolique du présent en chair et en os sur le passé. Par exemple (mais plusieurs photographes ont retenu cette approche), Diane Dufraisy a créé cette série “Réhumanisation” dont le titre est déjà tout un programme.

Réhumanisation – Diane Dufraisy
Réhumanisation – Diane Dufraisy

Les émotions liées à ces visions d’un passé au présent ou d’un présent à l’imparfait sont nombreuses : mélancolie, spleen, nostalgie et aussi rêve, imagination, chimère… fiction, mythe.

Quoi de mieux alors que le sténopé pour rendre compte de ce mélange : une technique photo du passé pour photographier du passé, du passé sur du passé en quelque sorte, mais avec un photographe bien présent comme le montre Arnaud Thurel.

Sténopé – Arnaud Thurel
Sténopé – Arnaud Thurel

L’Urbex apporte ainsi une autre façon de voir ce passé proche. Les premiers photographes en idéalisant les ruines antiques avaient créé un mythe, celui d’une antiquité rêvée, un retour aux sources de la philosophie. Ce mythe a contribué à protéger ce patrimoine… parfois.

Les artistes Urbex font passer un autre message et leur rapport à ce patrimoine semble plus flou, entre consommateurs de décors naturels pour photos HD instagrammesques et philosophes de la liquidité du temps. Et si ces photographes étaient aussi des lanceurs d’alerte ?  Comment ressentons-nous le passé et le passage du temps ? Le passé a-t-il une place dans la course effrénée de notre monde ? Bref, quel nouveau mythe urbain sont-ils en train de créer ou de souligner ?


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