Synesthésie artistique : associer le temps à la couleur
La synesthésie est un phénomène touchant un faible pourcentage de la population qui permet d’expérimenter son environnement différemment, en liant les sens entre eux. Aujourd’hui, nous allons nous intéresser à la collaboration de Daniel Mullen et Lucy Cordes Engelman, associant la perception du temps et la couleur.
Une forme de temps différente : synesthésie spatio-temporelle
Voici le nom (initialement en anglais : A DIFFERENT KIND OF TIME: Sequencing Spatial Temporal Synesthesia) de la série de tableaux réalisée par Daniel Mullen, un artiste-peintre amateur d’abstraction, se basant sur les descriptions de Lucy Cordes Engelman, une réalisatrice. En voici un échantillon :
Sympathique, pas vrai ?
La synesthésie se manifeste sous différentes formes selon les individus : association du goût ou de l’odorat avec des couleurs, de lettres ou chiffres avec des couleurs… Ce vers de Baudelaire est d’ailleurs connu pour ça : « A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles » . Bon, il n’était pas synesthète, le bougre, mais vous avez saisi l’idée. De même, le phénomène est souvent cité dans le milieu musical, où de nombreux créateurs associent notes et couleurs (c’est le cas de Lady Gaga, Lorde, Pharrell Williams… pour citer les plus connus de la pop culture).
Pour en revenir aux artistes du jour, lorsque Lucy Cordes Engelman pense à une date (années, jours de la semaine, mois, heures…), elle y associe une séquence de couleurs.
Je perçois le temps comme une sorte de globe sur lequel je peux zoomer au plus près ou, au contraire, duquel je peux décoller et m’éloigner. [C’est une] frise chronologique qui se contracte, s’étend, ondule…
Cette vue mentale fluctuante représente ainsi les durées comme les tranches colorées, dans une abstraction magnifiquement reproduite par Daniel Mullen. Les formes, étirées en perspective abyssale, provoquent une fascination instantanée. Les contours abrupts s’opposent aux tons pastels employés, dans une parade spatio-temporelle. La transparence joue aussi son rôle dans la perception des tableaux. Les années représentées ici semblent si fines, si fragiles, et, dans la distance, se confondent peu à peu.
Étonnamment, cela me fait penser aux diapositives que l’on visionnait il y a de ça une éternité pour nos plus jeunes lecteurs. Le temps placardé dans un cadre de verre, classement et ordonnancement.
Méthode et technique
Même si le style de Daniel Mullen correspondait parfaitement au projet avant de le commencer, je suppose que le couple écossais a passé de nombreuses heures à discuter des représentations mentales de Lucy Cordes Engelman. Celle-ci considère ainsi les tableaux comme les œuvres les plus proches de ce qu’elle voit dans sa tête.
Pour la technique même de la peinture sur toile, le procédé semble relativement simple (mais ingénieux). Preuve en vidéo :
Les lignes de fuite et la représentation du plan en perspective sont d’abord tracées au crayon. Ensuite, Daniel Mullen colle des segments de ruban adhésif en ne laissant qu’une fine lamelle de toile visible. Il applique enfin la couleur souhaitée et retire le scotch.
Voilà, c’est tout pour aujourd’hui ; j’espère que l’article vous a plu ! Je vous invite à faire un tour sur l’article Wikipédia sur la synesthésie pour plus de détails scientifiques et une liste sympathique d’autres artistes.
Dites-moi dans les commentaires si vous êtes synesthète ou si vous aimez les rectangles translucides et colorés autant que moi. À bientôt !
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Dark Vadot, le 30 septembre 2018 à 09:15 : #
Merci pour ce bel article au fil du temps. J’ai découvert une nouvelle façon de représenter le temps en l’associant à la couleur.
Jusque là, j’associais surtout le noir et blanc ou le sépia au passé. Ah, ces vieilles photos où les personnages figés vous fixent de leur regard pour nous dire « Carpe diem »…
Le choc a été de voir ensuite ces films et vidéos recolorisés. La publication de la seconde guerre mondiale en couleur (https://www.youtube.com/watch?v=QfFu817I-ow) a ému beaucoup de monde : le noir et blanc fondait le passé dans un tout différent, lointain, inaccessible, mis à distance alors que l’usage des autres couleurs rapproche et souligne l’évidence que nous sommes si proches de ces personnes, de la guerre en l’occurrence… Gloups.
Ce qui m’a retenu chez ces artistes, ce sont les lignes géométriques. Un temps rectiligne, physique. L’émotion se trouve dans la couleur mais j’imaginais plus des lignes incurvées, des départs, des brisures, du chaos, de l’élan, de l’imprévisible… Le temps coloré, le temps de la mémoire, le temps construit. De quoi stimuler des perceptions colorées ! Merci encore pour cette découverte.